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Cultores, Basilica Et Horrea à Mactar (afrique Proconsulaire)

Cultores, basilica et horrea à Mactar (Afrique Proconsulaire)

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  Javier Arce et Bertrand Goaux (éd.), Horrea d’Hispanie et de la Méditerranée romaine, Collection de la Casa de Velázquez (125), Madrid, 2011, pp. 97-116. CULTORES, BASILICA ET HORREA À MACTAR(AFRIQUE PROCONSULAIRE) Bertrand G offaux Université de Poitiers L’épigraphiste qui entreprend d’étudier les inscriptions relatives aux horrea  ne peut qu’être frappé par la singularité du dossier. Non seulement on trouveassez peu d’inscriptions pour ces édices, mais elles renvoient à des réalités trèsdiverses : entrepôts privés 1 , ou appartenant aux cités 2 , ou au domaine impérial 3 ,ou encore liés à un établissement militaire 4 . Cette extrême diversité se reèteégalement dans les différentes catégories de personnels rattachés aux entrepôts 5 .Autre source d’étonnement : la très faible implication des évergètes civiquesdans les inscriptions conservées. Quand nous les connaissons, les responsablesde la construction des horrea sont des cités, des militaires, ou l’empereur et sesreprésentants, mais très rarement des bienfaiteurs locaux ; le seul cas répertoriéoù un nancement évergétique est assuré, grâce à la formule nale d(e) s(ua) p(ecunia) d(ono) d(edit) , n’est d’ailleurs pas sans équivoque, car nous ignoronssi l’ horreum est compris dans l’évergésie 6 .Et il arrive même que l’on rencontre un constructeur encore plus singulier,comme à Mactar, en Afrique proconsulaire : c’est sur ce seul cas que vont sefocaliser les lignes qui suivent, dans l’espoir de contribuer à une typologie quine peut reposer sur le seul plan des édices.Mactar (  Mactaris dans l’Antiquité) se situe en Tunisie actuelle, sur un pla-teau à plus de 900 m d’altitude, en bordure méridionale du Haut Tell, dans unerégion où l’on pratiquait céréaliculture et oléiculture 7 . La ville romaine n’est 1   CIL , VI, 33860 (= ILS , 5913) [Rome]. 2   ILAlg. , II, 3, 7806 (Cuicul) . 3    AE , 1924, 36 (Hippo Regius). 4 Par exemple, RIB , 1151 (Corbridge) ; RIB , 1909 (Birdoswald). 5 J. France , « Les personnels et la gestion des entrepôts », pp. 483-507. 6   CIL , II², 7, 97 (Obulco) : il est difcile de savoir si l’ horreum mentionné dans cette inscrip-tion fragmentaire est effectivement offert par l’évergète, ou s’il n’est mentionné que dans un buttopographique, pour localiser l’évergésie dans l’espace urbain. À ce sujet, voir B. Goaux , « Éver-gétisme et sol public en Hispanie », pp. 225-247. 7 Pour une présentation du site, G. Picard , Civitas Mactaritana , pp. 12-16. Par convention, j’aichoisi de citer cet auteur par son seul nom de famille, même s’il a souvent signé de son nom d’usageG. C harles-Picard .  bertrand goaux 98pas connue dans toute son extension, mais les édices identiés, ainsi que lalocalisation de trois nécropoles, tendent à en circonscrire le périmètre urbainet à la classer parmi les villes africaines de taille moyenne 8 . Elle comprenait auHaut-Empire deux forums, dont il n’est pas sûr qu’ils se soient succédé dansle temps 9 , ainsi que divers temples et édices thermaux. Le substrat culturelpunico-numide était encore très présent au premier siècle de notre ère, commeen témoignent notamment les sculptures ou encore une riche épigraphie libyqueou néo-punique. La cité conserva d’ailleurs longtemps un statut de ciuitas péré-grine, dirigée par trois suffètes dont le titre fut sans doute latinisé en triumvirsau ii e s. de notre ère, avant d’être promue au rang de colonie sous le règne deCommode, avec le nom de Colonia Aelia Aurelia (Augusta) Mactaris 10 . L’inscription sur laquelle va porter notre attention a été mise au jour lorsdes fouilles menées sous la direction de G. Picard, en 1946. Le lieu de décou-verte n’est malheureusement pas connu avec précision : en croisant les rapports 8 A. M’Charek , Documentation épigraphique et croissance urbaine . 9 C. Kleinwächter  , Platzanlagen Nordafrikanischer Städte , pp. 151-183. 10 G. Picard , Civitas Mactaritana , pp. 148-156 ; J. Gascou , La politique municipale de Rome ;H.-G. Pfaum , Les amines de l’Afrique romaine , p. 158 ; C. Kleinwächter  , Platzanlagen Nordaf-rikanischer Städte , pp. 153-161. Fig . 1. — L’inscription de la iuuentus de Mactar (d’après G. Picard , Civitas Mactaritana , pl. XXIX)  cultores, basilica et horrea à mactar 99de fouille et les publications, nous apprenons qu’elle était réutilisée dans l’em-marchement supérieur d’un escalier qui donnait accès à une pièce située encontrebas des thermes du sud-ouest, au sud ou au sud-ouest de ceux-ci 11 .Il s’agit d’un linteau brisé en deux morceaux, d’une largeur totale de 228 cmsur une hauteur de 33 cm et une profondeur de 52 cm (g. 1) 12 . Le texte s’ins-crit dans un champ épigraphique délimité par une moulure en forme de tabulaansata , et court sur 8 lignes : la première présente des lettres de 6 cm, qui onttoutes été martelées mais qu’on parvient tout de même à restituer ; les deuxsuivantes sont gravées avec des lettres en moyenne de 3 cm, et les cinq dernièresen caractères plus petits, sans doute de l’ordre d’1 à 1,5 cm. [[Imp(eratore) Domitiano Caes(are) · Aug(usto) Germ(anico) · XIIII· co(n)s(ule) ·]]Iuuentus ·ciuitatis · Mactaritanae · cultores · Martis · Aug(usti) ·solo · publico · basilica(m) · et · horrea · II · p(ecunia) s(ua) f(acienda)c(urauerunt)curatoribus · Saturnino · Arisim · lio · et · Fortunato · Lulh[i]m · liomagistri · Saturninus Leptha f(ilius) Aris Chunin ·f(ilius)·Rogatus· Addunis · f(ilius) · Fortunatus · Arsaces · f(ilius) · SiluanusMuthumbalis ·f(ilius) · Balsillec · Zrumae f(ilius) · Nanes · Thusabiae ·f(ilius) · Baricbal Iasuctan[is f(ilius) Pr]imus · Victoris · f(ilius) · Gudul· Mazbalis · f(ilius) · Saturninus · Fortunati · f(ilius) · Cittin · Selidiunis ·f(ilius) · Ninus · Iassicbalis · f(ilius)Baric · Sappir f(ilius) Mufthun · Samonis f(ilius) · Aris Arisim · f(ilius)· Fortunatus · Papi f(ilius) · Schinnius · Mercatoris · f(ilius) · Optatus· Laeti · f(ilius) · Milthun · Multhumbalis · f(ilius) Baliathon [---]ilian ·f(ilius) · Victor · Balsamonis · f(ilius) · Felix · Fortis · f(ilius) · Aris Zru-man · f(ilius) · Mustu · Multhumbalis · f(ilius) · Rogatus · Fausti · f(ilius)· Bassus · Maximi · f(ilius)Faustus · Sexti · f(ilius) · Ninus · Baricbalis · f(ilius) · Milthumbal ·Rogati · l(ibertus ?) · Crescens Baricis · l(ibertus ?) · Titus · Iaraucan ·f(ilius) · Gudul · Thilbran · f(ilius) · Birzic · Maximi · f(ilius) · Maximus· Optati · f(ilius) · Ro[gatus ---] ori · f(ilius) · Publius · Fortis · f(ilius) ·Iailuai · Bassi · f(illius) · Maximus · Iurathae · f(ilius) · Mustu · Zrumae ·f(ilius) · Macarsa · Quinti · f(ilius) · Fortunatus [---]Rogatus · Tertullae · f(ilius) · Rogatus · Largi · Africanus · Srdumae· f(ilius) · Satur · Birissio · f(ilius) · Datus · Thiai · f(ilius) · Rogatus ·Faustae · f(ilius) · Messor · Tertullae · f(ilius) · Satur · Aris · f(ilius) ·Nou[--- Mu]thumbalis · f(ilius) · Baricbal · Fidae · f(ilius) · Ninus ·Adarbalis · f(ilius) · Aris · Cantoris · f(ilius) · Vassai · Rogatae · f(ilius) ·Fortunatus · Oriclonis · f(ilius) 11 G. Picard , « Fouilles de Mactar », p. 224 ; Id ., Civitas Mactaritana , p. 77 et 122. 12   Id ., Civitas Mactaritana , p. 77 et 111.  bertrand goaux 100 Schenius · Milthunis · f(ilius) · Vindex · Bassi · Birzic · Zrumani ·f(ilius) · Ciri · Bassi · f(ilius) · Martialis · Afchana · f(ilius) · Lucrio · Sexti· f(ilius) · Martialis · Fau · f(ilius) · Cinsa [---]is · f(ilius) · Calcha · Chonis· f(ilius) · Saturninus · Zrumanis · Baliathon Tabra La première ligne comprend la titulature impériale de Domitien, dans uneformulation très courante 13 , suivie de la mention assez maladroite de son qua-torzième consulat, qui nous situe en 88 (s’il était en exercice) ou en 89, puisqu’ilrevêtit son quinzième consulat en 90 14 .La deuxième ligne reprend l’auteur de la dédicace et la nature de l’action com-mémorée, tandis que la troisième ligne présente à l’ablatif les deux curateurs destravaux, puis au nominatif le nom de deux magistri . Suivent enn cinq lignesqui donnent au nominatif une liste de 65 noms de pérégrins, parmi lesquelsgurent peut-être un ou deux affranchis, le reste étant composé d’ingénus 15 .Cette liste a bien entendu été exploitée à plusieurs reprises pour étudier l’ono-mastique pérégrine de Mactar, d’srcine libyque ou punique, et les débuts de salatinisation, ainsi que pour tenter de repérer la présence éventuelle d’Italiens àMactar 16 . Pour notre propos, il suft de constater que l’on trouve là, à partir dela n de la troisième ligne, un album collégial, commençant par le nom des deux magistri de la iuuentus de Mactar, suivi du nom des 65 membres du collège, etque celui-ci était majoritairement composé d’ingénus, mais ouvrait égalementses rangs à des affranchis 17 . Quand aux deux curateurs mentionnés en début deligne 3, il s’agit des responsables des travaux, qui faisaient sans doute partie ducollège, sans que nous puissions en être certains.Même en laissant de côté cet album collégial, cette inscription est assez ori-ginale : elle commence par une dédicace impériale, ou plus probablement lamention du consulat de l’empereur à l’ablatif à des ns de datation 18 , puis faitintervenir une association particulière désignée sous deux noms juxtaposés, quiréalise à ses frais mais sur terrain public des édices dont le lien logique n’estpas évident au premier abord, une basilique et deux horrea . Elle n’a jusqu’ici 13 A. Martin , La titulature épigraphique de Domitien , p. 157-158, n° 58. À noter que la datationpar la seule mention du quatorzième consulat est par contre très rare : la seule autre attestationprovient de Thrace ( IGR , I, 781). 14 A. Martin , La titulature épigraphique de Domitien , p. 31. 15 L’examen des photographies ne permet pas de suivre sans réserve la lecture de G. Picard pourles deux affranchis de la ligne 6. On notera aussi que certains idionymes sont suivis d’un nom augénitif sans plus de précision. L’objet de cette contribution n’étant pas le statut des membres dela Iuuentus , je n’ai pas poussé plus loin ces questions, qui mériteraient une reprise à partir d’unerelecture de la pierre. 16 O. Masson , « La déclinaison des noms étrangers », pp. 307-313 ; A. M’Charek ,  Aspects del’évolution démographique et sociale à Mactaris , pp. 143-165. 17 L’idée de iuuenes rassemblant une forme de « jeunesse dorée » des cités n’est donc pas de mise,comme l’a bien montré F. Jacques , « Humbles et notables », pp. 217-230. 18 La mention du seul consulat pourrait s’expliquer par cette volonté de datation. A. Martin , La titulature épigraphique de Domitien , p. 191.  cultores, basilica et horrea à mactar 101fait l’objet d’une interprétation globale que de la part de G. Picard 19 , dont l’ex-posé, bien que très cohérent, pose de nombreux problèmes qui nous amènent àreprendre le dossier pour tenter d’apporter une explication alternative. I. — IVVENTUS CIVITATIS MACTARITANAECVLTORES MARTIS AVG(VSTI) Pour aboutir à une identication des structures mentionnées dans l’inscrip-tion, il faut d’abord s’interroger sur les responsables de leur construction. Les organisations de la jeunesse Or la recherche sur les organisations de la jeunesse dans le monde romain abeaucoup progressé depuis l’époque où écrivait G. Picard. Celui-ci reprenait engrande partie la thèse proposée dans l’après-guerre par P. Ginestet d’une dis-tinction nette entre les collegia iuuenum , issus des cités romanisées d’Italie, et les iuuentutes , abondantes dans les sociétés provinciales plus marginales 20 . Toujoursd’après cette thèse, les iuuentutes regrouperaient toute une classe d’âge dans lacité : elles seraient un passage obligatoire pour tous les jeunes gens, et auraientun rôle militaire ou au moins paramilitaire 21 . Enn, à l’intérieur même de ces iuuentutes , des collegia iuuentutis pouvaient se former sur la base du volontariat,sur le modèle des collèges 22 .Cette thèse, très sommairement résumée dans ces lignes, pose de nombreuxproblèmes, à commencer par l’idée d’une sorte de service militaire imposéà toute une classe d’âge, qui trouve son srcine dans la présentation que faitTacite des iuuentutes des Éduens, des Rètes, des Bataves ou des Noriques 23 ,dont on peut légitimement se demander si elle est applicable à toutes les pro-vinces, a fortiori dans un contexte pacié, et alors que les trois albums quenous ont livrés les associations de jeunesse présentent une composition entous points proche de celle des autres collèges connus, c’est-à-dire fondée surla liberté d’association 24 . 19 G. Picard , Civitas Mactaritana , pp. 77-147. 20 G. Picard a eu accès à la thèse non soutenue de P. Ginestet, que l’auteur a nalement reprise,soutenue et publiée en 1991. Sur cette grande distinction, voir G. Picard , Civitas Mactaritana ,pp. 93-104. 21 P. Ginestet , Les organisations de la jeunesse , pp. 122-123, 126, et pp. 159-168. 22   Ibid ., pp. 101-104. 23   Tacite ,  Ann ales, III, 43 ; Historiae , I, 68 ; II, 12 ; III, 5 ; IV, 14. 24 M. Jaczynowska , Les associations de la jeunesse romaine ,   pp. 30-33. Dans le cas de Mactar,l’explication de Ginestet, qui propose un service en principe obligatoire, mais dont bien des jeunesse dispensent parce qu’ « ils ne sont pas exaltés par l’idée de consacrer leur jeunesse à construiredes greniers pour l’annone militaire, et [que] ce sont évidemment les ls de notables qui peuventse permettre le plus facilement d’enfreindre la loi » (P. Ginestet , Les organisations de la jeunesse ,p. 126), est irrecevable.