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Le Management à Distance : Résultats D Une étude Exploratoire Revue Internationale Sur Le Travail Et La Société, Octobre 2005 Emmanuelle Léon 1

Le management à distance : Résultats d une étude exploratoire Revue internationale sur le travail et la société, Octobre 2005 Emmanuelle Léon 1 Année : 2005 Volume : 3 Numéro : 2 Pages : ISSN :

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Le management à distance : Résultats d une étude exploratoire Revue internationale sur le travail et la société, Octobre 2005 Emmanuelle Léon 1 Année : 2005 Volume : 3 Numéro : 2 Pages : ISSN : Sujets :management à distance, mutation, organisation, l évolution des technologies. 1 Professeur Assistant, ESCP-EAP, 114 Introduction Notre vision du management est souvent guidée par le postulat suivant lequel manager et managé se trouvent à proximité l un de l autre. Les pratiques de gestion du superviseur, chargé de coordonner l action de plusieurs travailleurs partageant un même espace, ont été longtemps guidées par le principe de division des tâches, le contrôle du temps et du lieu de travail. Cependant, le management vit aujourd hui une profonde mutation, du fait de la globalisation de l économie. En effet, les entreprises se doivent de coordonner des activités séparées par des barrières géographiques, voire organisationnelles (Kayworth, Leidner, 2000 ; Townsend et al., 1998) pour faire face à la concurrence. La nécessité d aller de plus en plus vite pour répondre aux demandes des clients tout en réduisant les coûts explique pour partie la croissance des fusions et acquisitions, le développement d alliances et la volonté d aplatir les structures hiérarchiques. Ainsi que le constatent Perlo et Hills (1998) : «alors que les entreprises opèrent de plus en plus hors de leurs frontières nationales, rassemblant autour de projets transverses des acteurs de pays différents, le management à distance devient une réalité quotidienne pour un nombre toujours croissant de managers» (p.114). Le développement du management à distance s appuie sur l évolution des technologies de l information et de la communication : ces dernières ont facilité l abolition des contraintes traditionnelles de lieu et de temps qui ont longtemps présidé à toute réflexion sur le management. Notre communication, basée sur l analyse d entretiens semi-directifs avec des managers et des managés, aura pour objet d étudier la relation managériale à distance en analysant les perceptions des différents acteurs concernés. Cette étude exploratoire a permis le développement d un modèle, présenté en guise de conclusion, et qui est actuellement en cours de test. 1) Le management à distance : définition et typologie Le management à distance ( remote managing ) se produit lorsque le manager est séparé physiquement de ses collaborateurs, rendant ainsi impossible tout suivi direct de leur travail et des processus à l œuvre. Comme le souligne Charles Handy, «we will also have to get accustomed to working with and managing those whom we do not see, except on rare and prearranged occasions», (Handy, 1995, p.42). La globalisation de l économie, l accélération et la dématérialisation des échanges ont facilité la généralisation du management à distance, 115 forme de supervision longtemps réservée à certaines professions (commercial, consultant, contrôleur, service après-vente, etc.) et à certains niveaux hiérarchiques (directeur de filiale à l étranger, par exemple). Le management à distance devient aujourd hui un phénomène de plus en plus répandu, qu il soit lié au développement des organisations matricielles, des structures projets ou du télétravail. La volonté de rapprocher l entreprise de ses clients a souvent pour corollaire d éloigner le manager de ses équipes. 1.1) Le management à distance, une nouveauté? Les questions posées par la gestion de la distance ne sont pas neuves. L Histoire nous apporte le témoignage d organisations diverses, gérées à distance, telle que l Eglise catholique (Harris, 1996) ou l empire romain (Brytting, 1996), par exemple. King et Frost (2002) considèrent que le management de la distance a été rendu possible par l utilisation de techniques visant à clarifier les échanges (comme l utilisation de l argent et de l écriture) mais également de techniques dites «d ambiguation», visant, elles, à maintenir un certain flou, afin de pouvoir fédérer un plus grand nombre de personnes. Dans une étude longitudinale de la Hudson Bay Company, entreprise créée en 1670, O Leary et al. (2002) analysent les interactions entre le siège londonien et les bureaux d échanges de fourrures, situés au Canada, pour identifier les facteurs de succès du management à distance. Cependant, l on assiste aujourd hui à une recrudescence de l intérêt porté à ce thème, que ce soit sous l angle des recherches portant sur le télétravail (Dubé, Paré, 1999 ; Pinsonneault, 1996, 2000, 2001) ou sur les équipes «virtuelles» (Jarvenpaa, Leidner, 1999 ; Dumoulin, 2000 ; Hertel et al., 2005). Cet intérêt s explique, selon Isaac (2002b), par le développement des technologies de l information et de la communication qui ont facilité le développement du travail à distance sous toutes ses formes. Isaac et Leroy (2002) listent l étendue des modifications induites par les technologies sur la gestion de l information au sein des entreprises : l information se dématérialise, devient globalement plus disponible et facilement accessible, prend des formes diversifiées et interactives Ainsi, la conférence téléphonique, la vidéo-conférence et les échanges de courriers électroniques permettent au télétravailleur de communiquer avec son manager et ses collègues, de récupérer les informations dont il a besoin, etc. Elles peuvent également servir au manager à des fins d évaluation et de contrôle de la performance de ses collaborateurs (Boivin et al., 1996). 116 Avec l arrivée des technologies Internet et téléphoniques, l intranet d une entreprise est désormais accessible depuis un téléphone mobile ou un ordinateur portable équipé d une connexion Internet : c est ce qu Isaac (2002b) nomme «la caractéristique d ubiquité» du bureau du salarié. Ce dernier peut en effet facilement travailler depuis le site d un client, depuis sa chambre d hôtel ou encore depuis son domicile. Aussi Davenport et Pearlson (1998) s interrogent-ils sur le devenir des lieux de travail traditionnels : «What s happening to the office? Technology has made it possible to redefine where work is done. The traditional notion of an office as the place where someone goes to work seems to be going the way of the buggy whip, the eight-track tape, and the stenographer», (Davenport, Pearlson, 1998, p.51). Des entreprises comme IBM, Procter&Gamble, AT&T ont partiellement ou complètement éliminé les bureaux traditionnels pour les fonctions de commercial et de service après-vente. D autres encore ont supprimé les bureaux des chercheurs, des agents immobiliers ou des comptables : pour ces métiers, le travail devient quelque chose que l on fait et non plus un endroit où l on se rend (Davenport, Pearlson, 1998). Le management à distance n est donc pas un phénomène nouveau. Cependant, le développement des technologies de l information et de la communication, permettant le travail à distance, ont, de ce fait, augmenté le nombre de personnes «gérées» à distance par leur manager. Aussi la tentation est-elle grande d assimilier «management à distance» et «e- management». Nous considérons que le «e-management» est une des facettes du management à distance mais qu il ne couvre pas toutes les situations de gestion à distance. L analyse des différentes distances à l œuvre dans le management à distance illustre notre propos. 1.2) Les différentes distances à l œuvre Si la «distance géographique» est la plus souvent évoquée quand on parle de management à distance, il ne faut cependant pas oublier l impact d autres distances sur la relation entre le manager et le managé. Ainsi, Perlo et Hills (1998) estiment que les distances suivantes, pouvant se juxtaposer à la distance géographique, méritent d être prises en considération dans les études portant sur ce thème. Il s agit de : - la distance linguistique Les équipes à distance utilisent majoritairement l anglais comme langue véhiculaire. Cependant, le degré de compréhension et de maîtrise de cette langue varient fortement en 117 fonction des individus, entraînant incompréhensions et malentendus. Une mauvaise interprétation des propos tenus peut conduire au conflit. - la distance culturelle Considérée comme l un des principaux facteurs d échec d une équipe dispersée, la distance culturelle entre les membres de l équipe est incarnée par des manières de penser, des pratiques professionnelles et des comportements différents. La distance culturelle est davantage cause de malentendus que de désaccords. Or, si l on est toujours conscient d un désaccord, les conséquences d un malentendu peuvent s avérer bien plus néfastes à l organisation. - la distance horaire ou asynchronie Dispersées parfois dans le monde entier, les équipes vivent à des horaires décalés, ce qui rend complexe la communication synchrone. De ce fait, l organisation de visio-conférence, ou de conférence téléphonique, est parfois difficile techniquement. En outre, une réunion virtuelle regroupe potentiellement des individus pour lesquels il est 8h du matin ou 10h du soir, ce qui les met chacun dans des situations professionnelles distinctes, avec une réactivité différente, etc. - la distance technologique Les membres d une équipe à distance ne partagent pas toujours les mêmes outils technologiques. A ce premier écueil s ajoutent parfois la non-compatibilité des systèmes entre eux ainsi que des niveaux de formation hétérogènes en fonction des utilisateurs. Aussi tous les membres d une équipe virtuelle ne sont-ils pas au même «niveau» de confort dans l utilisation des outils de collaboration ou de communication à distance. 1.3) Typologie des situations de management à distance De nombreuses typologies existent sur le travail à distance. La typologie de Kurland et Bailey (1999) nous a semblé la plus intéressante dans le cadre de cette recherche car elle étudie les différentes situations de travail à distance en fonction des défis posés en termes de management. part-day local telecommuting satellite office neighborhood work centers mobile working worldwide virtual teams fewest number of management challenges greatest number of management challenges Continuum of the challenges of remote managing source : Kurland & Bailey, 1999, p «Part-day local telecommuting», que l on peut traduire «télétravail en alternance», signifie que le salarié disposant d un bureau au sein de son entreprise travaille occasionnellement depuis son domicile. Les situations «satellite office» (bureau satellite) et «neighborhood work centers» (télécentres, centres électroniques de quartier) sont destinées aux individus dont l activité professionnelle se déroule principalement à l extérieur des locaux de l entreprise. Cependant, ces salariés peuvent disposer, le cas échéant, d un bureau situé en général à proximité de leur domicile ; pour cela, ils doivent réserver préalablement un espace de travail car aucun ne leur est nominativement attribué. C est pour cette raison que ces deux modalités sont parfois regroupées sous le terme de «hoteling» (Davenport, Pearlson, 1998). Les entreprises de service ont souvent recours à ce type d espace de travail. La différence majeure entre ces deux formes est que le bureau satellite appartient en propre à l entreprise alors que le télécentre est un centre informatique privé partagé par plusieurs organisations. Le travailleur mobile («mobile worker»), également appelé travailleur nomade, ne dispose d aucun espace de travail physique dédié à son activité professionnelle. Dans cette catégorie figurent notamment les contrôleurs dans les transports, certaines forces de vente commerciales, les équipes de services après-vente, etc. Kurland et Bailey (1999) identifient une dernière forme d organisation : «worldwide virtual teams». L expression «équipe virtuelle» décrit des équipes dispersées géographiquement, utilisant principalement (mais pas uniquement) les technologies pour communiquer : «We use the terms virtual team and geographically dispersed team interchangeably here. We considered a team to be virtual if members met face-to-face less than once per month, and used some form of communication technology as the primary medium for conducting group meetings» (Hart R.K., McLeod P.L, 2003, pp ). Zigurs (2003) s interroge sur la pertinence même du concept d «équipe virtuelle». D après lui, il faut étudier le positionnement de l équipe en fonction des paramètres suivants : la dispersion géographique, la dispersion temporelle, la dispersion culturelle et la dispersion organisationnelle. «There is no single cut-off point at which a team becomes virtual. Instead, what managers must do is assess the context of the team and the degree to which virtuality is present on a variety of dimensions» (Zigurs, 2003, p.340). Cette typologie des situations de travail à distance (Kurland et Bailey, 1999) est présentée sous la forme d un continuum : ainsi, il serait plus difficile de gérer à distance une équipe virtuelle qu un télétravailleur à temps partiel. En effet, dans le premier cas, le 119 collaborateur passe régulièrement dans les locaux de l entreprise : le manager peut ainsi voir régulièrement son collaborateur, et dispose de nombreuses opportunités pour observer, conseiller et réorienter ses subordonnés. En outre, les collaborateurs ont la possibilité d échanger de façon formelle et informelle avec leurs collègues, et ces interactions facilitent la diffusion de la culture d entreprise et de ses normes auprès des travailleurs à distance. La situation se complique dans le cas de l hoteling. En effet, comme le collaborateur ne dispose pas d un espace de travail spécifique, il se trouve parfois à distance des personnes avec lesquelles il souhaite échanger, ce qui peut nuire et à son efficacité, et à son implication. En outre, comme le constate Harder (1997), le concept du «bureau-hôtel» peut faire naître des conflits entre sphère privée et sphère publique. Ainsi, les études menées à ce sujet montrent que les salariés qui ont la possibilité de personnaliser leur lieu de travail manifestent une plus grande motivation que les autres. Nous allons à présent nous intéresser plus spécifiquement aux avantages et aux risques de ces différentes situations de travail à distance, tels qu ils sont présentés dans la littérature. 2) Avantages et risques du travail à distance Le management à distance est directement corrélé au déploiement de différentes formes de travail à distance. Il nous semble donc pertinent d étudier les avantages attendus du travail à distance ainsi que les risques qui en découlent, avant d approfondir les enjeux spécifiques du management à distance. 2.1) Avantages attendus du travail à distance Les avantages attendus du travail à distance diffèrent en fonction des situations précédemment décrites. La plupart des recherches réalisées semblent confirmer la corrélation existant entre la mise en place de programmes de télétravail et l amélioration de la productivité (Bailyn, 1988 ; Baruch & Nicholson, 1997 ; Bélanger, 1999b ; Hartman, Stoner & Arora, 1992 ; Olson, 1985), allant en moyenne de 10 à 40%. D après Huws (1993), les managers considèrent les télétravailleurs comme 47% plus productifs que leurs collègues de bureau ; dans 25% des cas, le travail est également de meilleure qualité. Chez IBM, les gains de productivité étaient estimés à 50% (Dubé & Paré, 1999) et 87% des personnes bénéficiant d un «lieu de travail» autre que celui offert traditionnellement par l entreprise estimaient que leur productivité et leur efficacité avaient progressé (Apgar, 1998). L explication de cette 120 hausse de productivité est assez simple : le télétravailleur peut choisir des heures de travail adaptées à son mode de vie, il est davantage concentré sur sa tâche car moins souvent interrompu et profite d une plus grande tranquillité liée à l amélioration de son environnement de travail (Pinsonneault, Boisvert, 1996). En outre, il n a plus à effectuer de trajets entre son domicile et son lieu de travail. Cependant, comme le soulignent Pinsonneault et Boisvert (1996), l estimation objective des gains de productivité obtenus est délicate, les gestionnaires utilisant souvent à cet effet des critères subjectifs. Outre la productivité, Pinsonneault & Boisvert (2001) ont établi une liste des avantages principaux du télétravail, parmi lesquels figurent la loyauté envers son organisation, la satisfaction au travail, l attraction et la fidélisation des salariés. Ainsi, une étude réalisée auprès des télétravailleurs d IBM a montré une évolution de la satisfaction des individus en fonction de leur capacité à équilibrer vie personnelle et vie professionnelle (Davenport, Pearlson, 1998). Les autres situations de travail à distance n ont pas fait l objet, à ce jour, de recherches aussi approfondies sur leurs avantages potentiels. Notons cependant que les différentes formes d hoteling ont pour avantage principal de réduire les coûts liés à l immobilier dans une organisation. Ainsi, chez Accenture, le passage vers l hoteling a permis de diviser par deux les coûts des locaux par consultant (passant de à 3350 par consultant) et que la gestion d équipes à distance permet un accès rapide à des expertises géographiquement dispersées ainsi qu une meilleure connaissance des besoins des clients (Kurland, Bailey, 1999). 2.2) Risques du travail à distance Davenport et Pearlson (1998) proposent d identifier les risques du travail à distance par contraste avec ce qui existe dans un contexte de proximité. Ainsi, même s il est évident que de nombreuses activités n ont plus besoin de se dérouler dans les locaux de l entreprise, les locaux ont d autres fonctions qui, aujourd hui, ne sont pas remplacées par les technologies, à savoir : - la culture de l entreprise : les bureaux sont un lieu de socialisation et d intégration de la culture de l entreprise. Dans le cas de l hoteling, par exemple, les individus n auraient plus le sentiment d appartenir à l entreprise. En outre, comme ils 121 n occupent pas le même espace de travail à chacun de leur passage, ils ne savent pas où se trouvent leurs collègues. Certains préfèrent, du coup, travailler depuis chez eux (Davenport, Pearlson, 1998). - la loyauté : les bureaux facilitent l identification du salarié avec son entreprise. Ce résultat est en contradiction avec ceux obtenus par Pinsonneault et Boisvert (2001), qui considèrent que le télétravailleur est plus loyal envers son entreprise que le travailleur «classique». - la communication : les bureaux rendent possible des communications fréquentes et non planifiées. Les conversations face-à-face ne se limitent pas à l échange d informations : elles permettent de véhiculer les attitudes et les préoccupations des différents interlocuteurs, par le non-verbal notamment. - l accès aux autres : les bureaux sont un lieu où les individus peuvent facilement se retrouver quand ils ont un problème à résoudre. La technologie facilite l accès aux autres mais les auteurs considèrent qu il reste difficile de communiquer à distance. Dans le cas du télétravail, la plupart des expérimentations menées témoignent du fait qu au bout d un an ou deux, les travailleurs ont le sentiment d être déconnectés de leur entreprise et de leurs collègues, ce qui nuit à leur implication. - le contrôle managérial : le fait d être présent dans l entreprise signifie que l on est en train de travailler. De nombreux managers se sentent mal à l aise lorsqu ils n ont plus la possibilité d observer le travail de leurs collaborateurs. Aussi les travailleurs nomades ont-ils parfois le sentiment que les technologies portables adoptées par l entreprise servent à les contrôler (Davenport, Pearlson, 1998). Nous reviendrons plus en détail sur ce point ultérieurement. - l accès aux documents non électroniques. - le statut : les bureaux (taille, emplacement, présence d une secrétaire, etc.) sont autant de signes du niveau hiérarchique de son interlocuteur. Même si de nombreux managers se targuent de ne pas y être sensibles, nous avons remarqué qu il existe, même dans des bureaux vir