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Les Principes. Pourquoi La Dégustation. La Construction Du Goût Un Contexte Biologique

Les principes Pourquoi la dégustation La dégustation, activité hédoniste et récréative, permet à chacun de dépasser ses habitudes et ses a priori afin d explorer l exceptionnelle acuité de ses sens. L

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Les principes Pourquoi la dégustation La dégustation, activité hédoniste et récréative, permet à chacun de dépasser ses habitudes et ses a priori afin d explorer l exceptionnelle acuité de ses sens. L éveil sensoriel ouvre sur une découverte de soi mais aussi sur une découverte des autres : prendre le temps de ressentir chaque perception éprouvée par les différents sens, les mettre en mots, les communiquer aux autres permet de réaliser à quel point les dégustateurs sont différents. Chacun est amené à se situer par rapport aux autres, dans le respect des différences interindividuelles. Ce travail favorisera la mémorisation et la constitution d une bibliothèque d émotions qui suivra la personne tout au long de sa vie. «L apprentissage du goût est donc une aventure personnelle qui laisse à coup sûr une trace durable dans le vécu de l individu et contribue à améliorer sa qualité de vie». (RIGAL N., 2000, La naissance du goût, Noesis.) Longtemps réservée au milieu très fermé des gastronomes et des dégustateurs de vin, la dégustation s ouvre aujourd hui à tous. Les récentes découvertes en neurosciences ont contribué à mieux comprendre les phénomènes en jeu durant la prise alimentaire. Ce que vit et raconte notre corps peut être tout à fait différent d une personne à l autre. Ainsi le goût que l on pensait être une propriété de l aliment se révèle être une représentation mentale mêlant les 5 sens, les mots, l histoire, la culture de celui qui le déguste. Pour paraphraser la célèbre maxime «Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es», nous pourrions dire «Écoute ce que tu manges, ça te dira qui tu es». L aliment nous raconte des histoires. Pour les connaître il suffit d ouvrir l œil, de tendre l oreille, de humer, d effleurer puis de goûter la multitude de sensations qui naissent en bouche. Cette attention soutenue amplifie nos perceptions. Cette tomate que l on aurait trouvée simplement bonne devient délectable, juteuse et fruitée. Le plaisir fait partie intrinsèque de l alimentation, nous mangeons pour vivre, certes, mais aussi pour nous réjouir. Dès la naissance, nous lisons, sur le visage du bébé, ce sentiment de bien-être et de plénitude qu engendre la tétée. Dès ce moment également, l alimentation devient un vecteur de communication entre la mère et l enfant, c est un temps d échanges sensoriels et émotionnels. Elle restera toute la vie, un moment privilégié favorisant la convivialité, le partage, l échange avec l autre. La construction du goût UN CONTEXTE BIOLOGIQUE Le goût est-il inné? Des chercheurs, dont Matty Chiva en France, ont démontré que le plaisir et le déplaisir pour certaines saveurs fait partie de l inné. Ils ont étudié le réflexe gusto-facial de nourrissons, quelques heures après la naissance et noté leur réaction en fonction des différentes solutions (sucré, salé, acide, amer). De manière unanime, la saveur sucrée est acceptée, alors que l acidité et l amertume sont rejetées. Il s agit d un phénomène ne se référant à aucun apprentissage. Les biologistes s accordent à considérer que cette appétence pour la saveur douce s explique en terme d évolution : ceci permettrait à l enfant de mieux se nourrir pendant les premiers mois de sa vie, le lait maternel possédant une saveur sucrée. Inversement, l aversion innée pour l amer résulterait du fait que dans la nature, les substances amères sont fréquemment toxiques. L appétence pour ces dernières s acquiert peu à peu avec le temps, elle est le résultat d un apprentissage. In utero, le liquide amniotique est parfumé par les aliments ingérés par la mère (en Inde par exemple, ce liquide sent légèrement le curry). Dans les derniers mois de gestation, le fœtus est capable de sentir les odeurs. Autrement dit, nous baignons dans notre culture avant même de naître. Par la suite, les bébés nourris au sein goûteront un lait maternel parfumé par les arômes des aliments mangés par la mère. Plus grand, l enfant gardera une attirance pour les aliments dégageant ces mêmes arômes. Avant 2 ans, la plupart des enfants sont curieux et prêts à tester toutes sortes d aliments. Entre 2 et 10 ans, avec un pic entre 4 et 7 ans, commence une période de néophobie alimentaire. C est un processus normal du développement. Pendant cette période, l enfant recherche les aliments connus et à plus forte valeur énergétique : pâtes, riz... et refusent ceux à faible valeur énergétique comme les légumes par exemple. Les raisons de ce rejet des légumes sont multiples et non encore clairement établies : Est-il dû à leur saveur proche de l amertume? Une couleur verte est-elle synonyme de toxicité ou trop proche du produit brut, non transformé? Est-ce lié au désir d opposition aux parents? Dans tous les cas, il semble que les enfants ayant été mis en contact fréquemment et régulièrement avec ces aliments dépasseront plus facilement cette période et, plus tard, reviendront naturellement à une alimentation plus variée. Refuser d incorporer un corps étranger est un phénomène normal ; c est certainement un réflexe atavique de survie. UN CONTEXTE CULTUREL C est aussi un comportement lié aux croyances (à la pensée magique). On prête aux aliments toutes sortes de propriétés qui sont susceptibles de nous changer. À la cour du roi Louis XIV, les légumes racines, poussant dans le sol donc plus près du diable et de l enfer, étaient considérés comme mauvais, une nourriture de pauvres, on les mangeait lorsqu on n avait pas le choix. De nos jours, il suffit d écouter les messages publicitaires pour comprendre que cette pensée magique n a pas disparu. Seul le discours a changé, nous sommes passés du religieux au scientifique. Les publicités pour les produits additionnés d Oméga 3 nous feraient presque croire que l on ne vieillira jamais. Un autre exemple de croyance : là où le discours scientifique dit «les œufs sont mauvais pour ceux qui ont trop de cholestérol», on traduit «les œufs sont mauvais pour tous». On «oublie» la notion de dose. Incorporer un élément étranger demande un travail sur soi d acceptation Il peut passer par le fait de voir les autres le goûter et d entendre leurs appréciations. De même l observation attentive accompagnée d une recherche sémantique permet de faire des liens avec d autres aliments, souvenirs et émotions. Cette acceptation peut également passer par des histoires, des contes, des dessins, Tout ce qui permet de «personnifier», «d enchanter» l aliment le rend moins étranger. C est également pour cette raison que l approche de Gustaterrium a choisi de faire passer les dégustateurs par le travail préalable du jardinage. L INTÉRÊT DU JARDIN POTAGER La création et l entretien d un jardin potager est une des manières d amener les dégustateurs à dépasser leurs réticences voire leurs phobies alimentaires. Créer son légume, c est à dire le faire naître, l aider à grandir, projeter dans l avenir sa forme finale et enfin le récolter rend celui-ci moins «étranger» lorsqu il arrive dans son assiette. De plus, le fait de le soigner ou de le protéger des aléas de la culture, le rend peut-être aussi plus proche et plus précieux. Par ailleurs, il est certain que l on tire un bénéfice psychologique à être capable de créer de la vie, de la faire croître rapidement et aussi de consommer d une manière plus avertie et éclairée. Les changements de mode vie nous mènent vers une consommation de produits transformés avec le moins possible de préparation et de rapports avec le produit naturel, cela a pour conséquence une perte de repères par rapport à la réalité physique du produit lié aux saisons, au rôle vital du monde végétal, à la variété et aux conditions de croissance (plus ou moins de soleil, d eau, type de sol...) qui conditionnent un goût marqué et variable (non pas standardisé comme l ont les légumes produits pour être vendus au plus grand nombre). Aussi la dégustation de légumes, fruits ou aromatiques crus est un moyen de se rapprocher du produit naturel et de se le réapproprier. Ainsi, une fois que l on a amené les dégustateurs à goûter un légume cru, tous les jeux d expérimentation sur les goûts peuvent se mettre en place. Dans la vie courante, on «ensauce» la salade, on plonge les bâtonnets de légumes apéritifs dans des préparations, on sale les radis. Les rares végétaux consommés crus sont majoritairement des fruits. Or les légumes présentent une extraordinaire palette de goûts à même de générer une foule de jeux et d expériences de dégustation. L interaction des sens Ce qu on appelle communément le «goût» est une image sensorielle construite à partir de notre sensibilité, parfois même une simple texture peut améliorer cette image mentale : le plaisir d entendre et de ressentir le croquant du radis amoindrira le désagrément du piquant. C est pour cette raison que l analyse fine des perceptions de chacun des sens peut modifier l impression première, surprendre et ouvrir la curiosité du dégustateur. Les sens dans la dégustation consistance forme texture sensations thermiques texture TOUCHER MAIN forme couleur VISION MISE EN APPÉTIT OLFACTION odeurs saveurs GUSTATION MISE EN BOUCHE TOUCHER EN BOUCHE RÉTRO-OLFACTION arôme sensations trigéminales consistance texture sensations thermiques LA MISE EN APPÉTIT La vision nous informe sur l aspect, la couleur et la forme de l aliment et permet des suppositions sur la valeur en bouche : le rouge sera sucré, le vert sera acide, Le toucher (main), grâce aux sensibilités mécaniques et thermiques de la peau, permet d anticiper les sensations de texture en bouche puisque nous avons également des récepteurs tactiles sur les muqueuses buccales. L olfaction directe détecte les odeurs qui émanent de l aliment. Ces odeurs se retrouvent souvent dans les arômes en bouche. Pour les légumes crus, ces odeurs sont faibles mais perceptibles et entrent inconsciemment dans l image sensorielle de l aliment. LA MISE EN BOUCHE La gustation qui permet de ressentir les saveurs des aliments grâce aux bourgeons du goût logés dans les papilles de la langue, les saveurs connues sont salé, sucré, acide, amer, mais il semble qu il y en ait plus que ça L olfaction rétro-nasale (les molécules odorantes empruntant l arrière-gorge pour atteindre la muqueuse olfactive du nez) permet d appréhender les arômes de l aliment (ce que l on appelle souvent le goût de l aliment). Le toucher (bouche) ou sensibilité chimique du nerf trijumeau, nerf crânien qui innerve toutes les muqueuses de la face, permettra la sensibilité au piquant du poivre, au brûlant du piment ou du gingembre, au pétillant des boissons gazeuses, à la fraicheur du menthol... La vue Quel rôle joue la vue dans la dégustation Historiquement, la vue a permis à l Homme de distinguer ce qui est comestible de ce qui ne l est pas, à rechercher, identifier et sélectionner sa nourriture. La vue permet d apprécier la couleur, la forme et l aspect d un aliment. Elle crée des attentes et anticipe souvent les autres sens, elle va nous mettre en appétit ou au contraire, nous inspirer un sentiment de rejet. En sollicitant la mémoire, avant que les autres sens ne soient entrés en jeu, elle propose à notre conscience des goûts associés à la couleur, la forme ou l aspect (brillant ou mat, lisse ou granuleux, ). Ainsi, le rouge lisse et brillant, la forme ronde et petite de la tomate cerise attirent souvent les enfants (cela rappelle les bonbons), à l inverse, la tomate cœur de bœuf à la forme bosselée, plus complexe, tentera d autres personnes à la recherche de plaisirs plus raffinés. Mais la vue nous trompe parfois. Nous disposons tous d une très grande quantité d informations liées à la vision, cette bibliothèque d images dépend bien sûr de notre histoire personnelle mais il semble qu il y ait également des invariants dans l interprétation des données visuelles. Pour les enfants en phase de néophobie alimentaire (rejet des aliments inconnus), certaines couleurs telles le vert ou le marron évoqueront les moisissures et les déjections et provoqueront le rejet des aliments sans que les autres sens ne puissent contrebalancer cette première impression. Chez certains, la prépondérance de la vue sera si forte qu elle occultera les informations données par les autres sens. CONSEILS pour la dégustation L influence de la vue est donc parfois élevée et entraîne des réticences à goûter. Aussi il est important de proposer aux dégustateurs de fermer les yeux pour explorer les sensations du toucher, de l odorat ou du goût et de se concentrer plus particulièrement sur la recherche des mots qui peuvent décrire ces perceptions. Pris par cette recherche ils pourront alors objectiver leurs ressentis et dépasseront plus facilement leur dégoût premier. Quel que soit le sens étudié, les mots trouvés permettront d échanger de manière concrète avec les autres dégustateurs en dépassant la première impression ; les phrases type : «j aime», «je n aime pas», «elle est belle», «elle sent bon», «elle a l air juteuse» ferment la discussion et gênent l échange entre les dégustateurs. Une observation fine de l aliment jusque dans ses moindres détails, élargit au contraire le champ des discussions et amène à évoquer plus facilement des souvenirs, des sentiments, des émotions reliés à un aspect de l aliment. Ce chemin qui va du très concret à l imaginaire est un des plaisirs de la dégustation. Le toucher Quel rôle joue le toucher dans la dégustation Ce sens n est pas souvent exploré, même dans la dégustation. Nous n avons pas l habitude de toucher notre alimentation sauf lorsque l on mange des fruits. Le Gustaterrium permet de travailler sur des légumes ou des petits fruits crus que l on va pouvoir toucher, palper et, à ce titre, ce sens acquiert une place plus importante dans la dégustation. Les informations tactiles vont nous renseigner sur les textures que l on retrouvera en bouche puisque nous avons des récepteurs tactiles situés sur la langue et l intérieur de la bouche. Ces informations vont créer des attentes sur le plaisir (ou le déplaisir) ressenti en bouche. Qui n a pas anticipé son plaisir en testant le craquant d une baguette de pain ou le moelleux d un cake? La souplesse lisse d une feuille de laitue sera-t-elle préférée à la raideur rugueuse d une feuille de roquette? Nous sommes capables d obtenir un grand nombre d informations par le toucher si l on y prête un peu attention. Pour cela, il est préférable de fermer les yeux pour laisser la possibilité à notre cerveau de se concentrer sur les sensations qui lui parviennent selon différentes manières : - Quand on tient ou touche : sensations thermiques (chaud ou froid). - Quand on soupèse : poids et densité de l aliment (lourd ou léger, dur ou mou). - Quand on palpe, avec la paume de la main : forme de l aliment (petit, grand, régulier ou irrégulier, aplati, rond, oblong, allongé, plat, pointu, avec ou sans reliefs, bosselé, ). - Quand on tâte ou caresse avec le bout des doigts : texture de la surface de l aliment (souple, raide, collant, lisse, granuleux, cireux, sec, doux, rugueux, ). CONSEILS pour la dégustation Ce travail exploratoire est utile, comme le travail sur la vue ou sur l odeur, pour familiariser le dégustateur avec le produit avant de le mettre en bouche. En effet il n est facile pour personne d incorporer un aliment inconnu. Tout ce processus d avant la mise en bouche permet de le rendre moins étranger (étrange), de jouer avec ses sensations, de trouver des mots qui permettront d échanger avec les autres dégustateurs et de découvrir que, chez d autres, le rugueux peut être préféré au lisse. Chacun associe une sensation à un souvenir agréable ou désagréable. Lorsque vous faites une dégustation, après avoir observé attentivement l aliment, touchez-le, tâtez-le, essayez d exprimer ces sensations. Ainsi vous ressentirez sa texture avec encore plus d acuité lorsque vous le goûterez. Conseils pour mener une dégustation Deux idées pour utiliser le toucher dans une dégustation : Un petit jeu à l aveugle sur la texture Le guide fait toucher à un participant qui a les yeux bandés, une des plantes du Gustaterrium, du bout des doigts pour éviter de capter trop d informations sur la forme mais de rester sur les textures. Ensuite, le participant devra retrouver et nommer la plante, yeux ouverts en tâtant à nouveau si nécessaire. Pour travailler sur le vocabulaire Un participant doit faire découvrir aux autres dégustateurs un légume du Gustaterrium en n en donnant qu une description tactile. L odorat Quel rôle joue l odorat dans la dégustation L odorat est un des premiers sens utilisés par l être humain. Ainsi on a observé que le bébé au 3e jour de sa vie tourne instinctivement la tête vers l endroit d où provient l odeur de sa mère. Ce sont aussi les odeurs qui restent le plus longtemps en mémoire, leur souvenir est souvent fortement attaché à des émotions, des personnes ou des moments de notre vie très précis. Illustration littéraire La madeleine de Proust ou la réminiscence liée au goût Voici un texte écrit par Marcel Proust, extrait de À la recherche du temps perdu Du côté de chez Swan, qui reprend ce rapport étroit qu entretiennent goût, odorat et mémoire : «Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n existait plus pour moi, quand un jour d hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j avais laissé s amollir un morceau de madeleine. Mais à l instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu opère l amour, en me remplissant d une essence précieuse : ou plutôt cette essence n était pas en moi, elle était moi. J avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l appréhender? [ ] Et tout d un coup le souvenir m est apparu. Ce goût, c était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l heure de la messe), quand j allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m offrait après l avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m avait rien rappelé avant que je n y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s était désagrégé ; les formes et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot s étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l édifice immense du souvenir.» (fin de Illustra